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Publiphobie et nouveaux formats

De nouveaux formats de publicité investissent les écrans pour capter l'internaute

Des espaces plus grands, des slogans interactifs ou musicaux donnent libre cours à l'imagination des créatifs, bridée par les bandeaux classiques. Mais la coexistence de ces supports avec le contenu des sites doit être finement gérée pour ne pas exaspérer l'utilisateur.

Les internautes n'ont pas fini de pester contre la présence de publicité sur leurs ordinateurs. Il y avait déjà les bannières, ces modestes rectangles discrètement apparus en haut de quelques pages de sites Web dès 1994 et devenues presque familières. Aujourd'hui, en dépit du coup d'arrêt qui marque sa croissance, la publicité en ligne ne baisse pas pavillon et de nouveaux formats apparaissent. Ils se présentent pour les uns sous la forme de larges colonnes dressées à droite ou à gauche des pages ; les autres se déroulent sur tout ou partie de l'écran ; certains enfin font flotter des objets colorés à travers la page.

Tous ont en commun d'être nettement plus visibles, sinon carrément voyants. Là, c'est un grand tapis rouge qui se déroule sur la "une" en ligne d'un quotidien, pour laisser passer une voiture haut de gamme. Ici, c'est une petite goutte d'eau qui s'étend et se fait flaque sur toute la page d'un site d'informations high-tech pour vanter les mérites d'un fabricant de microprocesseurs. A chaque fois, impossible d'y échapper.

Période de crise

Comme sur un écran de télévision, il faudra attendre la fin de la "coupure de publicité" avant de reprendre lecture et surf.

Et ce n'est pas tout : même lorsqu'ils se contentent encore de l'espace restreint des bonnes vieilles bannières, les slogans publicitaires se font dorénavant musicaux, interactifs et animés. Le but des agences de communication et des éditeurs de sites est de canaliser plus fortement l'attention et la navigation de l'internaute, et, ainsi, de rassurer les annonceurs, au moment où l'Europe tente de limiter l'usage de la publicité intempestive sous forme de messages électroniques (Le Monde du 8 décembre).

Jamais la publicité en ligne ne s'est donc affichée avec aussi peu de gêne qu'en ces temps incertains. "C'est en période de crise qu'il faut se poser des questions et inventer", avance Françoise Renaud, directrice des études pour l'Union des annonceurs. "Pour faire face aux difficultés actuelles, confirme François-Xavier Hussherr, directeur adjoint de la direction business de Wanadoo Portail, il a fallu se mettre plus à l'écoute des annonceurs. Ceux-ci réclamaient davantage d'espace et de moyens d'expression." Wanadoo Régie, la régie publicitaire du fournisseur d'accès, propose donc, comme d'autres, toute une galerie de formats ("totems", "spots" et "carrés") qui rompent avec le classique bandeau. Là encore, des espaces plus grands, plus esthétisants et plus animés. Un mois après leur lancement, ces nouveaux supports représenteraient déjà plus de 20 % du chiffre d'affaires de la régie.

Auféminin.com, site-magazine pour les femmes, et sa régie interne ne s'y sont pas pris autrement pour "compenser par une croissance forte des annonceurs traditionnels le recul des investissements des dotcom", selon son PDG, Anne-Sophie Pastel. Les nouveaux formats d'affichages d'auféminin.com jouent ainsi à fond la carte de l'intégration du Net dans les plans médias traditionnels. Et ces formats parlent un langage qui a plus de chances d'être entendu dans un univers, notamment celui du luxe et de la beauté, qui a longtemps préféré se tenir à l'écart des étroits bandeaux, aux phrases forcément vite faites et aux couleurs ternes. Ici, les remplaçants des bannières se nomment "quatrième de couverture", "premier cahier", "double page" ou bien encore tout simplement "film". Avec les nouveaux formats de la publicité en ligne, le ton change et les éditeurs de site parlent d'image et de notoriété, plutôt que de taux de clics. Comme un retour aux fondamentaux, en somme.

Et ce n'est certainement pas les créatifs dans les agences de publicité qui s'en plaindront. Ces nouveaux formats leur offrent la possibilité de redonner libre cours à une imagination bridée par des calibres qui étaient trop étriqués.

Un écueil, le temps d'accès

Pour réaliser "Le chanteur de blues", un bandeau animé et sonore pour le compte d'IBM, et qui lui a valu récemment le grand prix Stratégies 2001, l'agence Ogilvy Interactive a fait travailler durant un mois une équipe de production. Avec chanteur, musicien et, pour la première fois, enregistrement en studio. Si le coût de l'opération n'a pas été dévoilé, une étude américaine du cabinet Forrester Research estimait cependant en juin que ces nouveaux formats revenaient de deux à cinq fois plus cher à produire que les bannières.

Reste à savoir si l'internaute est prêt à supporter d'être ainsi pris dans ces formats plus envahissants. "Nous sommes confrontés à un écueil important : le temps d'accès de l'internaute à l'information, relève ainsi Philippe Guérin, directeur de création à l'agence Fullsix. Ce temps est déjà trop long. Si on l'allonge encore, on est mort." Et la coexistence avec le contenu des sites doit être finement gérée. "Il y a un risque de dérive, ajoute Karim Stambouli, directeur de Publicis-ebrand. Il ne faut pas que ces nouveaux espaces prennent la place de l'édition. Des nouveaux formats, on en a suffisamment et on peut en créer de nouveaux tous les jours. Il est temps de se poser les vraies questions : à quoi peuvent-ils bien servir, qu'est-ce qu'on en fait ?"

Des interrogations que ne vont sûrement pas lever de récentes études américaines. En décembre 2000, Forrester Research constatait ainsi que l'arrivée en force de nouveaux formats, les big ads (grandes publicités), avaient provoqué, aux Etats-Unis, un regain de dynamisme dans l'univers de la publicité en ligne. Six mois plus tard, le même cabinet d'études ne pouvait que déplorer qu'une fois l'effet de nouveauté passé les taux de réponse aient fâcheusement tendance à piquer du nez. Pis : au bout d'un moment, ces big ads multimédias ne construisaient aucune "affinité ou loyauté à long terme envers la marque". La publicité sur Internet est donc encore loin d'avoir trouvé le point d'équilibre entre "capter l'attention de l'internaute et l'agacer".

Olivier Zilbertin (Le Monde interactif)

2 % du marché total

  • Investissements : plus de 85 millions d'euros (558 millions de francs) net ont été investis dans la publicité en ligne au cours du premier semestre, selon une étude conjointe de l'Internet Advertising Bureau France et de PricewaterhouseCoopers. Soit le même montant, au million près, qu'au cours du premier semestre 2000.
  • Part de marché : selon les prévisions de la Sécodip (Société d'études de la consommation, distribution et publicité), la publicité en ligne devrait représenter, en 2001, 2 % du marché total de la publicité, soit plus de 146 millions d'euros sur un total de 7,165 milliards d'euros. A titre de comparaison, le secteur du cinéma ne représente que 0,4 % du marché total.
  • Annonceurs : la vente par correspondance (VPC), la banque et les nouveaux médias sont, dans l'ordre, les trois plus gros annonceurs en ligne au premier semestre, avec respectivement 19 %, 12 % et 10 % du marché global.
  • Bannières : au premier semestre, 30 252 bannières différentes, pour 4 547 produits et 3 119 annonceurs, ont été recensées sur le Web français par AdNetTrack, service de piges de la publicité en ligne. La bannière "traditionnelle" (468 par 60 pixels) représente 52,4 % des formats.
  • Formats : l'Internet Advertising Bureau France a publié à la mi-novembre des recommandations pour une harmonisation de ces nouveaux supports. Il suggère cinq formats de référence : la bannière, le carré, le 16/9e, le skyscraper (ou "gratte-ciel", soit une colonne en hauteur) et le demi-skyscraper. Le prochain chantier de l'association professionnelle sera de rédiger un code de bonne conduite de la publicité en ligne, qui fixera notamment la durée maximale d'un spot.
Les publiphobes obligés de payer ?

Certains sites proposent désormais des éditions électroniques sans publicité... à condition de payer. Selon le magazine Transfert. net, deux sites ont déjà effectué de telles offres à leurs lecteurs internautes. Pour un dollar par semaine (moins d'un euro), Nando Times, un site d'informations quotidiennes en ligne, offre une édition dépourvue de bandeaux, donc moins fatigante à regarder à l'écran, et moins longue à télécharger.

Auparavant, un autre site, salon.com, avait fait une annonce similaire, sans toutefois rencontrer le succès escompté. Car, à moins de posséder un logiciel de filtrage de publicité qui obère des pans entiers de pages lors des téléchargements, il reste, par exemple, sur le site salon.com les logos des entreprises partenaires. C'est souvent un carré aux couleurs de l'entreprise qui établit le lien hypertexte...

Extrait du Monde Interactif, le 10 janvier 2002