[page précédente


Les erreurs du marketing online

La publicité sur Internet, portée au pinacle... mais aussi sévèrement critiquée ne fait qu'affronter des difficultés de jeunesse et un environnement peu favorable, tandis que de nombreuses erreurs marketing ont été commises par les parties prenantes à son développement.

Erreur 1 : des objectifs inadéquats

Privilégier le taux de clic, c'est chercher à développer le nombre de ses clients (ce qui, en soit, n'est pas répréhensible !). Pourtant, près d'un tiers des entreprises utilisent Internet pour développer leur image. De plus, les dot com cherchent surtout à développer leur notoriété... et là aussi, le taux de clic n'est pas forcément le bon indicateur. Il y a donc incohérence entre le mode de mesure et certains objectifs visés.

Erreur 2 : des cibles mal qualifiées... et aussi mal quantifiées

L'internaute réel n'est pas toujours celui qui est visé : la moitié des internautes surfe au bureau. Ces derniers, ayant principalement un statut de cadre, passent près de 45 min par jour sur Internet, c'est-à-dire près de 16 heures par semaine... soit 3 fois plus que l'internaute moyen. Et le cadre surfe peu sur les grands portails... là où, pourtant, les marques l'attendent, le prenant pour "l'internaute moyen".

La fréquentation de l'Internet, vue par les publicitaire, n'est observée que par le biais des ODV (sur les sites, donc). Or, l'internaute passe beaucoup plus de temps à consulter ses mails, qu'à surfer...

Enfin, on note une sorte de confusion entre le nombre de foyers français connectés à l'Internet (5 millions, environ, donc) et le nombre d'internautes (environ 7 millions), ce qui ne va pas sans poser des problèmes d'identification des cibles, deux internautes pouvant se connecter à partir de la même machine... A quand une mesure de la déduplication ?

A trop chercher une cible typée, on est passé à côté de celle des gros consommateurs !

Erreur 3 : le taux de clic tout puissant

L'achat d'espace est gouverné par le taux de clic, la "direct response". Comme si la presse se faisait rémunérer aux remontées de coupons ! Comme si une affiche faisait directement vendre ! Le règne du taux de clic réduit l'Internet au rang de média opérationnel. Or, il est plus que cela !

Erreur 4 : le bandeau, solution quasi unique

La bannière possède une superbe fonction : apporter des contacts qualifiés à un site. Si elle n'est pas LA solution de communication sur le web... c'est la plus facile à vendre car elle s'inspire des campagnes print bien connues des agences. Ces dernières se sont engouffrées dans ces "nouvelles" créations qui permettaient de passer à un nouveau marché, sans remettre trop en cause les structures (dans un premier temps) et en réutilisant des savoir-faire existant. On nous vend de plus comme une grande évolution les nouveaux formats de bandeaux (à l'heure où le 468x60 est ultra dominateur) ; on découvre que la pub peut aussi s'afficher en hauteur. L'Internet vient de redécouvrir le millimètre colonne !

Erreur 5 : le plan média, un défaut de construction

  • Des supports parfois mal choisis
    La présence des annonceurs sur les grands portails est due à une erreur d'appréciation : ces sites ont certes un excellent taux de pénétration, mais ce ne sont pas toujours ceux sur lesquels l'internaute passe le plus de temps (cf. par exemple le site Microsoft.com, souvent mis en page de démarrage par défaut...). Il y a donc confusion entre le taux de pénétration et la durée de fréquentation des supports.
  • La nécessité de construire dans la durée
    Un tiers des internautes sont des occasionnels. Il faut donc construire des campagnes dans la durée, mais pour l'instant rares sont les marques à bâtir leur plan média sur Internet dans la durée, essentiellement pour des raisons budgétaires : le budget moyen est de 400 KF nets pour 15 jours, et sur ce montant, 60% va vers les portails... sans aucune démarche qualitative, sans réelle segmentation (... ce qui est assez compréhensible vu de la taille de la cible).
  • 46,3 fois par mois...
    Une publicité d'un site financier aurait touché 6,7% des internautes français à domicile ; ils y ont été exposés en moyenne 46,3 fois dans le mois... Que penser d'une telle répétition ? Cache-t-elle (au choix... non limitativement ni exclusivement !) : une stratégie financière (le cas le plus positif !), un manque de maîtrise du media-planning (toucher 46 fois, c'est forcément lasser. Il aurait mieux valu soit économiser une partie du budget, soit investir sur d'autres cibles voire dans d'autres médias), un manque d'efficacité du média Internet (ainsi, par exemple, en radio, on compense la faible efficacité du support par plus de répétition) ?
On a assimilé taux de répétition et efficacité en oubliant que si le premier peut permettre de développer la notoriété, il génère aussi une lassitude. Plus grave encore, la concentration inutile sur une même cible que la répétition induit ne permet pas de développer la couverture d'un plan média.

Erreur 6 : la recherche de la rentabilité immédiate

La publicité sur Internet génère une faible rentabilité pour les centrales (peu de volume sur la vente d'espace entraîne peu de revenus), ce qui explique qu'aux débuts, peu de gros acteurs aient investi le marché de l'achat ou de la vente d'espace, et qu'ils l'aient confié, le cas échéant, à des juniors. Puis les agences médias ont suivi, mettant tout leur poids dans des synergies... qu'elles peinent à trouver. Quoi qu'il en soit, les agences et leurs clients continuent à privilégier le off-line qui offre des rémunérations plus fortes, tandis que les régies Internet cherchent à les capter avec des commissions et remises plus importantes que dans les autres médias.

La course aux remises est caractéristique du court termisme ; elle contribue à décrédibiliser le média (en mettant en cause sont positionnement prix par rapport aux autres médias) et à suggérer qu'il est trop cher compte tenu de ses performances... que pourtant personne n'évalue convenablement. Avant qu'on puisse le comparer à ses pairs, l'enfant aura grandi...

Conclusion

On a vite oublié qu'un média, comme tout produit, se crée par inspirations croisées et génère des process de gestion et de vente souvent similaires à ceux déjà pratiqués. Le web a bercé d'illusion des réinventeurs d'eau tiède... qui redécouvrent les joies (et les contraintes) du marketing.

Le modèle économique des sites web grand public repose sur la publicité. Oublier de réfléchir à cette dernière, c'est se boucher les yeux sur le futur du média. On se dirige certes vers la convergence technique entre TV et web, mais plus encore vers la convergence entre les modes de gestion (achat / vente) de l'espace publicitaire de ces deux médias.

Internet, après avoir privilégié la vente de produits similaires à ceux de la presse (le bandeau), à ceux du marketing direct (taux de clic), va s'inspirer plus fortement de la TV : recherche d'une véritable puissance sur certains sites, en parallèle avec l'affinité sur d'autres, consolidation des opérateurs et des divers intervenants, augmentation de la puissance financière, mesure d'audience plus homogène, pluri-média et internationale.

L'enjeu sera alors de détenir des "parts d'écran" (et non plus simplement des parts de marché), de suivre le consommateur (TV et géolocalisation par exemple, tracking) pour mieux répondre à ses attentes... si on sait les lui révéler et les lui offrir sans fausse promesse.

En attendant, contentons-nous... de croire à un futur publicitaire radieux pour mieux oublier le cataclysme boursier de l'an passé et les incertitudes d'aujourd'hui.

Serge-Henri Saint-Michel

Extrait de Marketcom, mai 2001