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Dossier : l'e-pub face aux sirènes du Web

La publicité sur Internet, portée au pinacle... mais aussi sévèrement critiquée ne fait qu'affronter des difficultés de jeunesse et un environnement peu favorable, tandis que de nombreuses erreurs marketing ont été commises par les parties prenantes à son développement.

Des faiblesses de jeunesse

Le marché de la publicité sur Internet a moins de 5 ans, pèse moins de 2% des dépenses publicitaires, c'est-à-dire un peu plus que le cinéma... mais on en parle déjà autant que de la TV ! Ce marché de lilliputien (1 MdF / an) génère cependant une réelle dynamique, mais sa cible reste étroite... Internet est érigé au rang de média. Certes. Mais pas encore à celui de mass média, auquel il ne peut encore prétendre car :

  • 5 millions de foyers français sont reliés à l'Internet (soit 7 millions d'internautes)
  • avec un nombre d'individus équivalent à celui de la presse quotidienne, Internet est nettement moins fidélisant que ces supports papier.
  • la fréquentation d'Internet est en moyenne de 6 heures mensuelles... ce qui équivaut à 2 jours de fréquentation de la TV...
Atomisation des sites et des régies, concentration des investisseurs

Du côté des acteurs, le panorama n'est pas plus réjouissant, mixant atomisation et centralisation.
  • Un marché atomisé au niveau des régies et des sites : plus de 110 régies, trop de sites achetables, peu de sites puissants (mais c'est bien pareil en TV !), en particulier parce que les "artisans" sont arrivés en premier sur le Net et n'ont pu utiliser les outils, les méthodes et approches marketing issues du "monde réel". Mais déjà, on sent qu'une concentration se profile à l'horizon : AOL, Wanadoo / Voilà et Yahoo se partagent environ 30% des revenus, soit autant que les 10 sites suivants alors que dans la plupart des pays, les 10 premiers sites concentrent 60% des recettes publicitaires.
  • Un marché concentré au niveau de la diffusion : regarder un quart des sites support permet de voir 81% des bandeaux diffusés. A terme, un encombrement des sites carrefour est à prévoir, à l'instar de certains supports TV et radio.
  • Un marché concentré au niveau des annonceurs : un quart des annonceurs représente 84% des bandeaux diffusés (et les bannières génèrent 80% des revenus de l'e-pub).
Le marché s'est fourvoyé en terme de marketing

Erreur 1 : des objectifs inadéquats

Privilégier le taux de clic, c'est chercher à développer le nombre de ses clients (ce qui, en soit, n'est pas répréhensible !). Pourtant, près d'un tiers des entreprises utilisent Internet pour développer leur image. De plus, les dot com cherchent surtout à développer leur notoriété... et là aussi, le taux de clic n'est pas forcément le bon indicateur. Il y a donc incohérence entre le mode de mesure et certains objectifs visés.

Erreur 2 : des cibles mal qualifiées... et aussi mal quantifiées

L'internaute réel n'est pas toujours celui qui est visé : la moitié des internautes surfe au bureau. Ces derniers, ayant principalement un statut de cadre, passent près de 45 min par jour sur Internet, c'est-à-dire près de 16 heures par semaine... soit 3 fois plus que l'internaute moyen. Et le cadre surfe peu sur les grands portails... là où, pourtant, les marques l'attendent, le prenant pour "l'internaute moyen".

La fréquentation de l'Internet, vue par les publicitaire, n'est observée que par le biais des ODV (sur les sites, donc). Or, l'internaute passe beaucoup plus de temps à consulter ses mails, qu'à surfer...

Enfin, on note une sorte de confusion entre le nombre de foyers français connectés à l'Internet (5 millions, environ, donc) et le nombre d'internautes (environ 7 millions), ce qui ne va pas sans poser des problèmes d'identification des cibles, deux internautes pouvant se connecter à partir de la même machine... A quand une mesure de la déduplication ?

A trop chercher une cible typée, on est passé à côté de celle des gros consommateurs !

Erreur 3 : le taux de clic tout puissant

L'achat d'espace est gouverné par le taux de clic, la "direct response". Comme si la presse se faisait rémunérer aux remontées de coupons ! Comme si une affiche faisait directement vendre ! Le règne du taux de clic réduit l'Internet au rang de média opérationnel. Or, il est plus que cela !

Erreur 4 : le bandeau, solution quasi unique

La bannière possède une superbe fonction : apporter des contacts qualifiés à un site. Si elle n'est pas LA solution de communication sur le web... c'est la plus facile à vendre car elle s'inspire des campagnes print bien connues des agences. Ces dernières se sont engouffrées dans ces "nouvelles" créations qui permettaient de passer à un nouveau marché, sans remettre trop en cause les structures (dans un premier temps) et en réutilisant des savoir-faire existant. On nous vend de plus comme une grande évolution les nouveaux formats de bandeaux (à l'heure où le 468x60 est ultra dominateur) ; on découvre que la pub peut aussi s'afficher en hauteur. L'Internet vient de redécouvrir le millimètre colonne !

Erreur 5 : le plan média, un défaut de construction

Des supports parfois mal choisis... La présence des annonceurs sur les grands portails est due à une erreur d'appréciation : ces sites ont certes un excellent taux de pénétration, mais ce ne sont pas toujours ceux sur lesquels l'internaute passe le plus de temps (cf. par exemple le site Microsoft.com, souvent mis en page de démarrage par défaut...). Il y a donc confusion entre le taux de pénétration et la durée de fréquentation des supports.

La nécessité de construire dans la durée... Un tiers des internautes sont des occasionnels. Il faut donc construire des campagnes dans la durée, mais pour l'instant rares sont les marques à bâtir leur plan média sur Internet dans la durée, essentiellement pour des raisons budgétaires : le budget moyen est de 400 KF nets pour 15 jours, et sur ce montant, 60% va vers les portails... sans aucune démarche qualitative, sans réelle segmentation (... ce qui est assez compréhensible vu de la taille de la cible).

46,3 fois par mois... Une publicité d'un site financier aurait touché 6,7% des internautes français à domicile ; ils y ont été exposés en moyenne 46,3 fois dans le mois... Que penser d'une telle répétition ? Cache-t-elle (au choix... non limitativement ni exclusivement !) : une stratégie financière (le cas le plus positif !), un manque de maîtrise du media-planning (toucher 46 fois, c'est forcément lasser. Il aurait mieux valu soit économiser une partie du budget, soit investir sur d'autres cibles voire dans d'autres médias), un manque d'efficacité du média Internet (ainsi, par exemple, en radio, on compense la faible efficacité du support par plus de répétition) ?

On a assimilé taux de répétition et efficacité en oubliant que si le premier peut permettre de développer la notoriété, il génère aussi une lassitude. Plus grave encore, la concentration inutile sur une même cible que la répétition induit ne permet pas de développer la couverture d'un plan média.

Erreur 6 : la recherche de la rentabilité immédiate

La publicité sur Internet génère une faible rentabilité pour les centrales (peu de volume sur la vente d'espace entraîne peu de revenus), ce qui explique qu'aux débuts, peu de gros acteurs aient investi le marché de l'achat ou de la vente d'espace, et qu'ils l'aient confié, le cas échéant, à des juniors. Puis les agences médias ont suivi, mettant tout leur poids dans des synergies... qu'elles peinent à trouver. Quoi qu'il en soit, les agences et leurs clients continuent à privilégier le off-line qui offre des rémunérations plus fortes, tandis que les régies Internet cherchent à les capter avec des commissions et remises plus importantes que dans les autres médias.

La course aux remises est caractéristique du court termisme ; elle contribue à décrédibiliser le média (en mettant en cause sont positionnement prix par rapport aux autres médias) et à suggérer qu'il est trop cher compte tenu de ses performances... que pourtant personne n'évalue convenablement. Avant qu'on puisse le comparer à ses pairs, l'enfant aura grandi...

Conclusion

On a vite oublié qu'un média, comme tout produit, se crée par inspirations croisées et génère des process de gestion et de vente souvent similaires à ceux déjà pratiqués. Le web a bercé d'illusion des réinventeurs d'eau tiède... qui redécouvrent les joies (et les contraintes) du marketing.

Le modèle économique des sites web grand public repose sur la publicité. Oublier de réfléchir à cette dernière, c'est se boucher les yeux sur le futur du média. On se dirige certes vers la convergence technique entre TV et web, mais plus encore vers la convergence entre les modes de gestion (achat / vente) de l'espace publicitaire de ces deux médias.

Internet, après avoir privilégié la vente de produits similaires à ceux de la presse (le bandeau), à ceux du marketing direct (taux de clic), va s'inspirer plus fortement de la TV : recherche d'une véritable puissance sur certains sites, en parallèle avec l'affinité sur d'autres, consolidation des opérateurs et des divers intervenants, augmentation de la puissance financière, mesure d'audience plus homogène, pluri-média et internationale.

L'enjeu sera alors de détenir des "parts d'écran" (et non plus simplement des parts de marché), de suivre le consommateur (TV et géolocalisation par exemple, tracking) pour mieux répondre à ses attentes... si on sait les lui révéler et les lui offrir sans fausse promesse.

En attendant, contentons-nous... de croire à un futur publicitaire radieux pour mieux oublier le cataclysme boursier de l'an passé et les incertitudes d'aujourd'hui. Le petit oiseau du web a pondu quelques beaux oeufs. Faisons le tour de quelques futuribles pour leur permettre de se transformer en or...


Probabilités : un média...
Causes, explications...
Lent à monter en puissance (dans un premier temps) L'arrivée des dotcorps, tant attendue pour leurs investissement, semble être différée.
Sous-investi Etre sous-investi, tout comme les chaînes TV thématiques.
Au profil moins typé Un vieillissement de la population internaute (les plus de 50 ans représentent en France 16% des internautes, contre 25% aux USA). Cette diffusion de l'internet dans la société, sur des classes qui n'étaient pas touchées se discerne déjà avec la montée en puissance des foyers à bas revenus. De plus, les femmes arriveront sur le web alors qu'elles ne représentent pour l'instant qu'un internaute sur trois.
A la fréquentation centrée sur quelques sites carrefour L'internaute visite environ 50 domaines par mois. Il se peut que ce chiffre se réduise suite à des consolidations / rachats (cf. ceux qui ont touché les hébergeurs gratuits). De plus, l'internaute va mûrir et sa fidélisation à un nombre réduit de site va s'accroître.
A la DEI en forte hausse Augmentation de la durée de fréquentation : l'Espagne est déjà à 8 heures mensuelles, les USA à plus de 11 heures.
Très proche de la télévision Les deux médias vont se rapprocher, en termes de fonctionnalité, de service mais aussi de gestion et d'achat.
=> plus encombré Le média va être de plus en plus publicitairement encombré, même si aux USA, le web le reste 2,5 moins que la télévision.


Objectifs et solutions : quelques conseils pour l'e-pub

Un tiers des internautes sont des occasionnels

Il faut donc construire des campagnes dans la durée. Passer du one shot à des campagnes récurrentes.

Aller vers plus de professionnalisme
  • Plus d'études, en se calant sur celles utilisées par les autres médias, ce va dans le sens de la labellisation par l'OJD (même si elle demeure perfectible)
  • Plus d'experts, plus de tests, en n'oubliant pas les points de passage obligés d'une bonne stratégie : ciblage et optimisation. On considère ainsi que 0,6% est le taux de clic moyen. Selon CB News, Peugeot a pourtant eu un taux de 12% sur Turbo, la partie automobile du site de M6. Peoplesound, qui propose de télécharger de la musique, a un taux de clic de 6 à 27% sur http://music.voila.fr/. A force d'optimisation, les campagnes de Nomade.fr sont passées de 0,93 à 1,36%.
  • Plus de marketing en travaillant en fonction d'univers, de secteurs (finance, loisirs...) et non en fonction de l'outil, ce qui va entraîner une réorganisation commerciale chez les acteurs et une nouvelle répartition des investissements sectoriels sur le web (aujourd'hui, 40% des investissements sont réalisés par les nouveaux médias et l'informatique). Nous irons probablement vers des conseils géographiquement bien définis (pour répondre à des questions du type (combien d'internautes dans ce quartier de la ville, avec quelle fréquentation ?), en droite ligne du géomarketing du monde réel, ce qui pourra intéresser, en priorité, les titres de presse régionale (pour réduire, par exemple, les zones de tuilage).
Apporter un vrai conseil, peut-être au détriment, à court terme, du volume

A quoi cela sert-il de faire une pub pour un constructeur automobile sur le web ? Les annonceurs se sont d'ailleurs pas dupe de cette incompétence des agences média (cf. Baromètre Top, 2000, CB News n° 651) qui sont une faible force de proposition pour ce média, connaissent mal les audiences, disposent de peu d'outils de traitement, etc.

Faire oeuvre de pédagogie en
  • amenant les marques à changer de discours car le web raccourcit le temps d'information.
  • invitant les marques à changer leur opinion sur le web (cf. le règne du taux de clic).
  • Avoir une réelle volonté de transparence : des efforts ont été faits pour mesurer le bêta... sans précisions méthodologiques. On arrive à une conclusion téléphonée : la mémorisation des bannières est presque aussi bonne que les spots TV ; cette efficacité varierait de plus peu en fonction de la fréquence d'utilisation du réseau.
  • utiliser des études (encore faut-il s'accorder sur la méthodologie et les objectifs de la mesure...) pour séduire les investisseurs frileux. Mais ceux qui critiquent la mesure d'audience pour l'Internet oublient qu'il y a 15 ans, ce même problème se posait pour la TV (qui a mis 15 ans pour mesurer l'audience du PAFC !).
Utiliser le bandeau comme point d'entrée

Connu et issu du "monde réel", il pourra amener les annonceurs vers d'autres formes de publicité, un peu comme à la TV, en insistant sur :
  • la création : one shot, coup créatif, son, bandeau multimédia...
  • un plan média créatif : multi-supports, optimisation du mix supports / solutions entre les bandeaux, les partenariats, les e-mails par exemple. Il faut se diriger vers une véritable stratégie de présence sur les médias numériques.
Décliner sur le web les outils du monde réel

Trade media, placement produit, droit d'asile, club de marque... pourront alors être mis à profit pour développer la palette de services et de moyens pour cibler le consommateur.

En somme, il s'agit de provoquer les mutations nécessaires pour entrer dans le clan des grands médias.

Serge-Henri Saint-Michel, mai 2001